Le marché de l’organisation de séjours touristiques pour les personnes handicapées en France affiche un bon potentiel, mais le nombre d’acteurs qui y sont positionnés est assez restreint. Il fait également l’objet de règles spécifiques qui ne sont pas toujours respectées et pour lesquelles les contrôles ne sont pas suffisants.

Il y a quelques mois, une structure associative qui intervient auprès de personnes en situation de handicap veut faire partir ses pensionnaires en voyage. Mais elle dispose d’un budget très serré.

Elle mandate une agence de voyages spécialisée pour organiser le séjour de groupe. L’opérateur refuse car les moyens alloués ne permettent pas de garantir de bonnes conditions de sécurité et de bien-être pour les voyageurs.

Malgré ce premier échec, la structure ne baisse pas les bras et se tourne vers un autre organisateur.

Il est moins scrupuleux que son prédécesseur et prend le risque de faire partir le groupe de personnes handicapées.

Pendant le séjour, l’un des participants décède. D’autres souffrent de déshydratation et doivent être pris en charge en urgence.

Rapidement, la famille du voyageur handicapé se rend compte que « l’agence » qui a organisé le séjour n’est pas immatriculée au registre des opérateurs de voyages et de séjours d’Atout France.

Elle a décidé de porter plainte. Les Entreprises du Voyages se sont constituées partie civile.

 

Manque de contrôle

L’organisation et la vente de séjours pour les personnes en situation de handicap font l’objet de certaines réglementations spécifiques.

Il est obligatoire de détenir des agréments, notamment dans le cas de voyages de groupes (voir encadré ci-dessous).

Le problème est que l’efficacité de ces garde-fous est limitée par le manque de contrôle.

En effet, « les agréments et les réglementations portant sur des champs différents, il n’y a pas de service interministériel unique chargé du contrôle de ces différents aspects« , nous répond un porte-parole du secrétariat d’État en charge de la promotion du tourisme.

Il est, par conséquent, fréquent de tomber sur des opérateurs aux pratiques « border line », voire carrément illégales.

C’est le cas, entre autres, pour le recours à des accompagnateurs pendant le séjour. Il n’est pas rare de trouver, en ligne, des appels au bénévolat pour assister des personnes handicapées pendant leur voyage.

Quand il s’agit d’une structure associative, la pratique est adaptée. Pour une entreprise, en revanche, c’est plus compliqué.

« Une personne ne peut pas être bénévole auprès d’une entreprise, affirme Me Eric Rocheblave, avocat spécialisé dans le droit du Travail. Le bénévolat doit être réservé à une tâche ponctuelle, libre, sans ordre ni subordination, auprès d’une association. »

Les « voyageurs solidaires » de Yoola

Une contrainte que Yoola parvient à contourner. Cette agence de voyages, dont le dirigeant et fondateur, Malik Badsi, a reçu le 3e prix Toromanof de l’AFST, déploie un dispositif de « voyageurs solidaires ».

Il permet l’accompagnement gratuit des clients handicapés de Yoola. Mais il ne s’agit pas exactement de bénévolat.

« Nous mettons en relation directe nos clients avec les membres de notre programme de voyageurs solidaires. S’ils parviennent à s’entendre, il partent ensemble et c’est généralement le client qui règle le séjour de son accompagnateur, détaille Malik Badsi.

C’est un service gratuit sur lequel nous ne faisons aucune marge. Par ailleurs, il n’y a aucun lien de subordination. Pour nous, l’accompagnateur apparaît comme un voyageur sur le contrat. Ce qui permet aussi de régler les éventuels problèmes d’assurance. »

Les « voyageurs solidaires » de Yoola sont, en majorité, des personnes qui travaillent dans le médical ou qui sont sensibilisées aux problématiques rencontrées par les handicapés. « Nous vérifions les compétences et le profil de chaque accompagnateur » affirme le PDG de Yoola.

Il reconnaît néanmoins que « sans bénévolat, 80% des clients ne pourraient pas partir. »

Les auto-entrepreneurs d’Adaptours

Si l’accompagnement gratuit présente des avantages pour l’agence, il peut malheureusement aussi entraîner des désagréments. Sans directive, ni lien de subordination, rien n’oblige l’accompagnateur à remplir sa « mission ». C’est déjà arrivé chez certains opérateurs.

« Lors d’un voyage en Australie, dès l’arrivée à l’hôtel, l’accompagnateur a décidé de laisser le voyageur handicapé en chambre avec un simple sandwich et a profité du budget prévu pour le séjour pour manger au restaurant.

Pendant ce temps, le voyageur a réussi à quitter sa chambre et s’est retrouvé, le lendemain, au poste de police », raconte un professionnel du secteur qui souhaite rester anonyme.

Malik Badsi assure que, chez Yoola, ce type d’abus n’a jamais été constaté. « Nous connaissons les personnes de notre réseau de voyageurs solidaires et jamais aucun n’a tenté de profiter du système », explique le PDG.

Chez son concurrent Adaptours, les accompagnateurs ne sont pas bénévoles. « Ils sont indépendants, ce sont des auto-entrepreneurs et ils nous font des factures », affirme Hervé Guichard, le directeur.

Adaptours compte 3 à 4 accompagnateurs pour 400 à 500 clients annuels en 2016. L’agence n’a pas besoin d’agrément spécifique car il ne fait voyager que des individuels.

En fonction du profil du voyageur, de la destination et du niveau de la prise en charge, les accompagnateurs fixent eux-mêmes leurs tarifs. Ils s’étalent, en général, entre 150 et 400 € par semaine.

Nous avons contacté la direction d’Access Tourisme, autre agence spécialisée dans les séjours pour personnes handicapées. Mais elle n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Be Handi mise sur la professionnalisation

Hervé Samagalski a, quant à lui, fondé Be Handi en 2015. « J’ai souhaité lancer une agence qui respecte ses clients et la législation », résume-t-il.

Il a lancé une campagne de financement participatif sur Ulule dans laquelle il appelle les internautes à « soutenir le développement et la valorisation de [ses] voyages entièrement adaptés selon le handicap et accompagnés par des professionnels. »

Le patron de Be Handi a même pour ambition d’ouvrir un centre de formation pour les personnes qui souhaitent travailler dans le transport et l’accompagnement touristique d’handicapés.

Son objectif est de « réveiller le secteur du tourisme et accélérer la prise en compte du handicap dans la conception d’offres de voyages », précise l’appel sur Ulule.

Alors que du côté de l’association Tourisme & Handicaps, « nous prônons plutôt l’accès à des séjours « classiques » pour les personnes handicapées avec leurs amis et leur famille, explique Annette Masson, la présidente.

Elles préfèrent cela, quand c’est possible, plutôt que de partir en groupe entre voyageurs handicapés. »

Certains projets sont actuellement en développement avec Jet tours sur ce point.

Selon l’INSEE, 12 millions de personnes sont en situation de handicap en France. Elles représentent un marché potentiel d’envergure pour les agences de voyages spécialisées qui auraient donc bien tort de négliger la qualité des services qu’elles leur apportent !

Réglementation :

Outre l’obligation d’immatriculation et d’avoir un garant financier qui concerne l’ensemble des professionnels du tourisme en France, les opérateurs spécialisés dans les séjours pour les handicapés sont parfois soumis à d’autres règles spécifiques.

Comme nous l’expliquent les services de Bercy en charge des entreprises, « il existe un dispositif pour encadrer les séjours de groupes composés uniquement de personnes en situation de handicap, à partir de 3, d’une durée de plus de 5 jours ». Dans ce cas, comme le stipule l’article L. 412-2 du Code du tourisme, il faut disposer d’un agrément « vacances adaptées organisées ». Celui-ci est délivré par les directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJCS).

En revanche, aucune contrainte n’est appliquée dans le cadre de l’accueil ou d’un voyage individuel pour une personne handicapée.

A moins que l’opérateur en question délivre lui-même une prestation de transport du voyageur. Il peut alors être obligatoire de demander un agrément dans le cadre des services à la personne, comme prévu par l’article D. 7231-1 du code du Travail.

Par ailleurs, la directive de l’Union européenne (UE) 2015/2032 du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfaits, qui sera transposée en droit français à partir de 2017, impose aux tour-opérateurs et agences de voyages de préciser, dans leur information pré-contractuelle si le séjour est adapté aux personnes à mobilité réduite, nous prévient-on du côté de Bercy.

Source : www.tourmag.com, Rédigé par Pierre CORONAS le Vendredi 10 Février 2017

http://www.tourmag.com/Voyageurs-handicapes-un-marche-reglemente-mais-des-pratiques-parfois-%C2%A0borderline%C2%A0_a85546.html