Personne ne pourrait dire qu’Éric Bilny n’aurait pas été emporté par la maladie en restant chez lui à Bouguenais (Loire-Atlantique). Personne n’entend soutenir que l’entreprise nazairienne Handi Cap Voyages est responsable de la mort de cet homme de 49 ans, atteint d’une sclérose en plaques à un stade très avancé. Non, il ne s’agit pas de cela. Il s’agit d’une famille qui a déposé plainte contre cette entreprise d’accompagnement. « Son idée de permettre à des personnes handicapées de voyager est très belle, souligne sa sœur, Corinne. Mais ils n’avaient pas le potentiel » pour garantir la sérénité du voyage d’Éric Bilny, lourdement handicapé.

Dans son appartement adapté de Bouguenais, cet homme en grande souffrance bénéficiait d’une assistance humaine de jour comme de nuit. « Un état de santé très dégradé mais stabilisé », assure sa sœur. Il rêvait d’un voyage. Avec l’accord de sa mère, sa tutrice, il finit par convenir d’une semaine en Crête, en octobre, en passant par les services d’Handi Cap Voyages, à Saint-Nazaire. Une société créée par une aide soignante. Depuis deux ans, elle propose de tout organiser – déplacement et hébergement – pour les personnes handicapées « pour leur mettre des étoiles dans les yeux ». Elle vante les mérites de son personnel d’accompagnement médical « spécialisé » en « France et à l’étranger ». Mais se défend d’être une agence de voyages. Et pour cause, elle n’en a ni la formation ni la licence.

« Infirmière bénévole… »

Pour ce séjour, Handi Cap Voyages accède à la demande expresse de la famille : adjoindre les services d’une infirmière à ceux, déjà prévus, de l’aide soignante. « J’ai reçu un appel, par l’intermédiaire d’une amie, qui savait que je ne travaillais pas », raconte l’infirmière plutôt habituée des maisons de retraite. On lui aurait demandé si elle avait envie « de voir la Crête ». Pas de contrat ni de feuille de salaire à la clé. Pour ce voyage à hauts risques à l’étranger, l’entreprise fait donc appel à une infirmière « bénévole ».

Catastrophe. Le voyage se passe mal. Dans le sillage d’une baignade, l’état de santé d’Éric Bilny se dégrade. Impossible de dire si cela a un rapport avec le fait qu’il y ait plongé la tête sous l’eau, mais il déclare une infection pulmonaire. Sur place, un médecin conseille à l’aide soignante et à l’infirmière de le faire hospitaliser. Ce qui, dans un premier temps, n’a pas été fait. « Ce n’était pas facile de communiquer », soupire l’infirmière, qui constate au passage que l’organisatrice aide-soignante ne maîtrise pas l’anglais.

Une plainte déposée

Finalement, le lendemain ou le surlendemain, après avoir envisagé un rapatriement, impossible faute de documents disponibles, le malade est hospitalisé. Son état va empirer. Problème cardiaque à la clé, le lundi matin, dernier jour programmé du voyage, il est admis en réanimation. Le jour même, l’infirmière et l’organisatrice rentrent en France, laissant leur client sur place.

La sœur, nantaise, arrivera à son chevet dans la nuit suivante, sans personne pour lui rendre compte du déroulement du séjour. Elle réussira à faire rapatrier son frère en France en fin de semaine. Il décédera un peu plus tard à l’hôpital, à Nantes.

Dans sa douleur, la famille n’a guère apprécié les relances répétées et menaçantes de la société nazairienne pour régler le reliquat de facture. Mais son combat ne se situe pas là. Les proches d’Éric Bilny ont déposé plainte, mardi, par l’intermédiaire de leur avocat Christophe Boog, « pour éviter à d’autres d’avoir à connaître cette douleur, celle d’une information et d’un encadrement insuffisants ».

« Des erreurs que nous ne referons plus »

Départ de l’aide soignante et de l’infirmière alors que leur client était hospitalisé en réanimation en Crête, assurance rapatriement introuvable, infirmière sans contrat sérieux… La liste des « manquements » dénoncés par la famille d’Éric Bilny n’inquiète pas la responsable de l’entreprise qui considère, au téléphone, qu’elle disposait « d’une décharge de la famille ». À ses yeux, ce papier la « dédouane ».

Son compagnon, qui travaille avec elle, est moins brutal. Il reconnaît avoir « commis des petites erreurs », « qui n’arriveront plus ». D’ailleurs, il assure que la société (qui joue des codes de l’agence de voyage mais se défend d’en être une, faute de licence) ne proposera plus de voyages « avec des personnes lourdement handicapées » : « On fera des « petits handicaps », des traumatismes crâniens ou des accidents de la route » Ses « petites erreurs » ? « On aurait peut-être dû rester là-bas à son chevet. » Et puis « on ne fera plus de contrat bénévole pour l’infirmière, c’est pas top. »

D’autant que sur son site internet, l’entreprise assure disposer d’un « personnel qualifié » : des « spécialistes expérimentés vous assistent en permanence ». L’infirmière du voyage en Crète était en fait une « amie d’amie », trouvée au pied levé. Le compagnon admet aussi qu’il n’a « pas vérifié » l’existence d’un contrat de rapatriement car il a « fait confiance » à la famille.

Mais la famille, elle, a fait appel à une entreprise pour gérer ce qu’elle ne savait pas faire : organiser un séjour en Crète pour un homme à l’état de santé très dégradé. « Ils nous ont dit : ne vous occupez de rien, on gère tout » jure la sœur d’Éric Bilny.

Pourquoi ne pas envisager une formation de voyagiste ? « Voyagiste ? répond le mari de la responsable d’Handi Cap Voyage. Je ne sais pas comment ça fonctionne. C’est assez compliqué. »

Source : www.ouest-france.fr, Rédigé par THOMAS HENG le 19 janvier 2016

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